Pourquoi
des dieux et des religions ?
Introduction
:
Il existe des multitudes de dieux et de religions avec de nombreuses
différences mais aussi beaucoup de points communs sur la Terre, pourquoi ?
Pour bien
comprendre ce chapitre difficile, il faut toujours avoir présent à
l'esprit la théorie de l'évolution au sens de Darwin. L'évolution se
manifeste à deux niveaux : tout d'abord au niveau de la compréhension du
cerveau humain dont l'évolution a permis la mise en place de mécanismes
cachés qui donnent au cerveau toute son efficacité, ces mécanismes et
l'apparition du langage parlé puis écrit ont naturellement favorisé
l'éclosion de systèmes de religion. A un deuxième niveau, la sélection
naturelle a aussi agi sur les concepts même qui ont présidé aux religions
: au début, l'homme a produit une grande quantité de concepts : des idées,
des images... Pour perdurer et évoluer, ces concepts doivent posséder des
caractéristiques bien précises qui ont naturellement sélectionné les
"meilleurs" concepts : ceux qui ont survécu puis se sont complexifiés pour
former les premières religions. Comme pour les animaux et les individus,
un bon concept est un concept qui dure, pour cela, il doit être
suffisamment performant au départ mais il doit permettre une certaine
évolution qui va conduire, toujours par le processus de sélection
naturelle, à une amélioration. Les religions elles-mêmes se sont donc
améliorées et complexifiées au sens de Darwin. Comme pour les espèces, le
seul critère ultime est la survie des gênes à long terme. Il est amusant
de constater que certaines religions qui sont le produit de l'évolution et
de la sélection naturelle rejettent ce système pour expliquer l'origine de
l'homme et des animaux : elles rejettent le mécanisme qui leur a donné
naissance.
La construction même du cerveau humain explique les points communs entre
les religions et les dieux du monde. En fait, on peut dire que les
religions sont naît du décalage entre les processus de fonctionnement du
cerveau humain et la conscience qu'en ont les hommes. Ce qui rend la chose
difficile à expliquer (et du coup la religion plus résistante) c'est que
l'humain, pour comprendre le fonctionnement de son cerveau, utilise son
propre cerveau : il ne peut pas s'en "extraire" pour avoir un salutaire
regard extérieur. Imaginons un petit homme vert habillé en vert toujours
dans une boîte verte et à qui on parle, à travers son téléphone (vert)
d'un objet bleu. Quelle représentation pourrait-il bien s'en faire ?
Enfin, le cerveau humain s'est façonné, au cours des âges, de telle sorte,
qu'il n'est absolument pas nécessaire de savoir comment il fonctionne pour
l'utiliser. Cette caractéristique du cerveau à cacher naturellement son
fonctionnement complique beaucoup son étude et... favorise la religion. Ce
qui se passe dans notre sous-sol mental n'est pas accessible, n'est pas
constitué de phrases ce qui nous empêche de formaliser ces concepts si
bien que nous ne pouvons avoir conscience des processus impliqués.
Le
cerveau :
Le cerveau humain, pour fonctionner est constitué de deux parties : la
partie externe (grosso modo le conscient des psychanalystes) : c'est la
partie de notre raison qui nous est perceptible et que nous ressentons. La
partie interne (grosso modo l'inconscient des psychanalystes) : ce sont
les coulisses du cerveau où agissent de nombreux mécanismes que nous
utilisons sans les voir ni les percevoir qui nous conduisent à considérer
des choses comme évidentes et naturelles mais qui le sont beaucoup moins
après une analyse approfondie.
Au fil des millénaires, la sélection naturelle a mis en place des
mécanismes efficaces qui se sont transmis dans les gênes. Ainsi les petits
enfants apprennent assez facilement à maîtriser un langage. La solution
évidente et logique pour apprendre quelque chose à quelqu'un, c'est
d'utiliser les mots qu'ils connaît pour en définir de nouveaux et lui
décrire un concept. C'est une solution évidente mais ce n'est pas celle
qui est utilisée par des jeunes enfants pour apprendre un langage :
comment expliquer avec des mots un langage à quelqu'un qui ne connaît rien
? L'évolution, chez l'humain a donc retenu des mécanismes plus efficaces
comme l'inférence. Par exemple, si un enfant voit une vache mettre bas son
veau, il va supposer, il va inférer que TOUTES les vaches mettent ainsi
bas. L'esprit a besoin et dispose d'une manière d'organiser et de classer
les informations et de donner un sens à ce qu'il reçoit de produire
des inférences à partir des informations recueillies. Si on montre à un
enfant un animal qu'il ne connaît pas : un castor par exemple, l'enfant va
naturellement appliquer son concept "animal" au "castor", l'enfant n'a pas
réellement conscience de procéder ainsi, il utilise les coulisses de son
cerveau : des mécanismes sophistiqués et invisibles qui se sont mis en
place au cours des siècles et sont apparus dans les gênes. Il est
important de comprendre que si un enfant, à la naissance ne sait
évidemment pas ce qu'est un animal, il a en lui, à la naissance, les
mécanismes qui lui permettront d'absorber ce concept.
Par exemple, un enfant a, dès sa naissance, des mécanismes d'imitation. En
tirant la langue devant un nourrisson on peut lui faire tirer la langue
alors qu'il ne s'est jamais vu dans une glace, qu'il ne sait pas ce qu'est
sa langue et à quoi elle sert. On active des mécanismes que l'enfant
possède à sa naissance, dont il n'a pas conscience et qui ont été
sélectionnés pour l'aider à apprendre. Cette inconscience de son propre
fonctionnement est un puissant facteur d'apparition de surnaturel et de
religieux. On peut assimiler la religion à une épidémie mentale qui
conduit les gens à développer (à partir d'informations variables) des
idées et des concepts religieux assez semblables. Comme un virus
biologique ou un virus informatique, un concept religieux, pour se
développer doit avoir des caractéristiques bien précises. Un virus qui tue
son hôte quelques minutes après son apparition à bien peu de chances de se
développer et de propager ses gênes : il sera rejeté par le mécanisme de
la sélection naturelle. Réciproquement, un virus très contagieux mais dont
les symptômes n'apparaissent que longtemps après son apparition a
certainement un brillant avenir dans le monde des virus... La religion et
les concepts religieux sont culturels et, au départ, se sont développés un
peu "au hasard" mais la sélection naturelle et les mécanismes cachés du
cerveau humain ont conduit à une sélection des meilleurs concepts
religieux : ceux dont la survie dans le temps est la meilleure.
Le
concept religieux:
Pour fonctionner, un concept religieux doit survivre et donc frapper les
imaginations. D'autre part, il doit être suffisamment simple. La théorie
et l'histoire montrent que ce concept doit intégrer un paramètre
biologique contraire à l'intuition humaine. S'il n'en contient pas : "le
poulet mange du grain et respire", il n'y a rien là d'original, tout le
monde le sait et on l'aura vite oublié. "Certains arbres peuvent écouter
les conversations humaines, et dans certaines circonstances, les révéler"
(Uduk du Soudan). Voilà qui est beaucoup plus intéressant : notre
intuition nous prouve que les arbres ne sont pas capables d'écouter, de
comprendre ou de transmettre la moindre conversation. Notre esprit,
produit des inférences et nous "montre" que ce n'est pas possible. Cette
affirmation est donc spectaculaire, a toutes les chances d'être retenue et
constitue un bon candidat à un concept religieux efficace. D'autre part,
elle pourra facilement évoluer, se complexifier... Pour être efficace, un
concept religieux doit être "théologiquement correct" : le paramètre qui
viole les lois standard doit être correctement dosé : une faible violation
défavorisera la mémorisation, une trop forte violation limitera la
diffusion à cause du scepticisme naturel. Plusieurs violations rendent le
message complexe et difficile à mémoriser, à moins que la sélection
naturelle ne le simplifie...
Les systèmes cachés qui constituent notre cerveau sont aussi complexes en
eux-mêmes que dans leurs connexions. Certains aspects de cette complexité
sont essentiels si l'on veut comprendre pourquoi les êtres humains ont des
concepts religieux. Notre esprit trie les objets en catégories.
L'appartenance d'un objet à une catégorie nous conduit à inférer ses
caractéristiques : la poule est un animal donc elle se déplace, mange et a
une certaine intelligence... Si je lâche cette fourchette, des mécanismes
de physique intuitive me conduisent à penser qu'elle va tomber à terre. Si
elle reste suspendue en l'air, je serai très surpris. Si l'enfant pousse
la balle, je sais que la balle va rouler. Mais je comprends aussi que
l'enfant a voulu pousser la balle. Si l'enfant me voit, il sait que je
l'ai vu pousser la balle, il sait que je pense qu'il a voulu pousser la
balle. Ces concepts nous paraissent évidents, tellement évidents qu'ils
sont transparents. Si à un spectacle de marionnettes, Pierrot met la balle
dans la boîte rouge puis il s'en va, le gendarme récupère la balle et la
met dans la boîte bleue, Quand Pierrot revient, si on demande à un enfant
de quatre ans où Pierrot va chercher la balle, il répond : dans la boîte
rouge : l'enfant sait que la balle n'y est pas mais il sait que Pierrot le
croit. Un enfant plus jeune ou un autiste n'est pas capable de faire ce
raisonnement : les mécanismes ne sont pas encore en place ou déficients.
Paul sait que Pierre pense que la femme de Jean est plus jolie que celle
d'André. Ce genre de raisonnement n'est accessible qu'aux humains.
Pour un humain, un poteau électrique sert à soutenir les fils, pour un
chien, il sert à marquer son territoire : le mode d'appréhension des
espèces est lié à leur évolution. Les systèmes d'inférence mis en place
dans nos gênes sont là parce qu'ils représentent des solutions efficaces à
des problèmes récurrents dans notre environnement depuis des milliers
d'années. Chez les populations humaines de chasseurs-cueilleurs, la
coopération étroite était indispensable. L'information était transmise par
l'exemple et la communication. Ce long passé explique notre comportement
aujourd'hui : le goût pour le sucré s'explique par la rareté relative des
sources de sucre dans ces populations.
Commérage
et coalition :
Le commérage est l'une des activités humaines fondamentales : ce sont des
informations sur nos semblables, de préférence celles qu'ils ne
souhaiteraient pas divulguer et concernant surtout le statut social, les
ressources et la sexualité. Ça s'exprime aussi dans l'aspect physique, les
vêtements et les bijoux qui sont des signaux pour tenter de communiquer à
l'autre sa position sociale avec, bien sûr, possibilité de tricher. Les
commérages sont à la fois universels et méprisés : nous sommes avides
d'informations au sujet des autres mais nous redoutons de voir divulguer
des informations à notre sujet. Nous souhaitons être dignes de confiance
pour avoir des relations sociales stables.
La coalition est une forme particulière d'association où l'on s'associe
volontairement, on peut faire défection, la coopération est bénéfique et
les défections pénalisent l'ensemble de la coalition. Les humains ont les
capacités mentales pour faire le travail d'évaluation de façon intuitive
et automatique. La coalition exacerbe la loyauté et induit le désir de
punir ceux qui font défection et à soumettre certains à des épreuves pour
vérifier leur loyauté. Le cerveau humain est très performant pour traiter
ces problèmes de façon simple en apparence.
L'humain est aussi très performant pour produire des inférences sur la
base de prémisses non réelles : "Si j'avais mangé, je serai rassasié".
Quand un enfant joue à la voiture avec une boîte de conserve, il sait très
bien que la boîte de conserve n'est pas une voiture mais il joue à faire
"comme si".
Les concepts religieux sont des concepts surnaturels qui comptent. La
religion est avant tout pratique. En général, dans les religions, la
doctrine n'est pas nécessairement l'aspect principal ou le plus important
des concepts religieux. Le plus important concerne la description précise
de la façon dont ces agents peuvent influencer la vie des gens et sur ce
qu'il convient de faire et de ne pas faire. Les religions occidentales
sont une exception à cette règle.
Dieux
et esprits :
Les dieux sont des êtres qui ont des propriétés physiques spéciales : ils
ne mangent pas, ne dorment pas, ne meurent pas... mais ils doivent aussi
se comporter comme tout le monde, nos inférences l'exigent. Les dieux sont
donc bâtis à la ressemblance des hommes. Voltaire disait que si les
cafards avaient l'intuition de Dieu, ils l'imagineraient sous la forme
d'un très grand et très puissant cafard. Quand les dieux n'ont pas une
apparence humaine, ils ont toujours un intellect humain.
Quand nous voyons bouger une branche, le cerveau met en route deux
processus différents : un système d'inférence spécialisé dans la détection
d'un agent animé et un deuxième système chargé d'identifier l'agent. Cette
particularité est essentielle à la compréhension des concepts de dieu et
d'esprit : en matière de religion, les gens ont moins tendance à voir des
"visages dans les nuages" qu'à "guetter des pas dans l'herbe" : ils sont
moins intéressés par les caractéristiques des agents que par l'indice de
leur présence. Le système humain de détection des agents fait partie de
notre fonctionnement cognitif permanent : pour sa survie, l'homme a
tendance à interpréter une branche qui tombe comme l'arrivée possible d'un
agent. Cette hypersensibilité du système humain explique pourquoi le
concept de dieux et d'esprits ressemblant à des agents est si naturel.
L'évolution naturelle a favorisé les hommes qui sur-détectaient les agents
plutôt que les autres. Les milliers d'années passées par les humains comme
proie potentielle ont beaucoup influencé leur évolution. En principe,
quand le système hyper sensible d'un humain détecte un agent, très
souvent, il s'agit d'une fausse alarme et on l'oublie aussitôt.
Les pensées concernant les dieux et les esprits sont des concepts stables
au sens où les gens les gardent en mémoire, les réactivent périodiquement
et pensent que ces agents sont des éléments permanents de leur
environnement. Certaines intuitions prennent corps et se stabilisent grâce
à ce qu'en dit l'entourage. L'être humain est capable de découpler ces
inférences pour construire des scénarios : "que se passerait-il si?".... à
partir de trois ans, beaucoup d'enfants utilisent ce mécanisme pour
entretenir des relations durables et complexes avec des compagnons
imaginaires qui constituent un terrain d'entraînement pour nos capacités
sociales. Ils peuvent donc maintenir des interactions cohérentes même
quand les personnes ne sont pas là ou n'existent pas.
Information
stratégique
:
A partir du moment où un humain reçoit une information qui déclenche une
inférence qui modifie ses interactions, cette information est stratégique.
Les hommes consacrent généralement beaucoup de temps et d'énergie à se
demander si les autres détiennent de l'information qu'ils considèrent
comme stratégique et à spéculer sur les inférences, intentions ou projets
qu'ils peuvent tirer de cette information, à essayer de les empêcher
d'accéder à cette information, de diriger et d'influencer les inférences
formées à partir de cette information. Tous ces calculs complexes sont
fondés sur l'idée que l'accès à l'information stratégique, le nôtre comme
celui des autres est complexe et généralement imparfait.
Les interactions avec les dieux et les esprits activent les mêmes systèmes
d'inférence qu'avec nos semblables. Elles sont donc naturelles. Si on prie
Dieu pour être guéri c'est que l'on pense que Dieu perçoit que l'on est
malade. Il y a pourtant une très grosse différence entre les interactions
avec Dieu et nos semblables : avec les humains, on suppose toujours qu'ils
ont un accès limité à l'information. Avec les agents surnaturels, Dieux et
esprits, on suppose qu'ils ont un accès illimité à l'information. En
général, les Dieux et esprits ont accès à l'information stratégique plutôt
qu'à l'information en général. Dans le monde entier, c'est ainsi que sont
représentés les ancêtres et les dieux.
Lors d'une communication verbale, le cerveau de celui qui écoute infère
une interprétation optimale. La transmission culturelle est déterminée par
la pertinence. Les concepts qui "excitent" le plus de systèmes
d'inférence, correspondent le mieux à leurs attentes et déclenchent des
inférences riches qui sont les plus susceptibles d'être acquises et
transmises. Nous n'avons pas les concepts culturels qui sont les nôtres
parce qu'ils sont censés ou utiles mais parce que la façon dont est
construit notre cerveau nous interdit de ne pas les élaborer.
Le fait que la plupart des dieux et des ancêtres soient des agents à accès
stratégique illimité est le résultat d'une sélection culturelle. Les
agents stratégiques jouissent d'un avantage sélectif certain, cela
explique qu'on les rencontre plus souvent : ils nécessitent moins
d'efforts. Concevoir ce que savent les agents à accès illimité, c'est
supprimer les obstacles : "les dieux savent que j'ai rencontré untel". De
plus les agents stratégiques génèrent des inférences plus riches et sont
tellement plus faciles à représenter qu'ils jouissent d'un avantage dans
la transmission culturelle.
Moralité
:
La religion n'est pas le fondement de la moralité, ce sont les intuitions
morales qui rendent la religion plausible. La religion n'explique pas le
malheur, c'est la façon dont les gens considèrent les malheurs qui rend la
religion plus facile à adopter. Les parangons intermédiaires entre les
hommes normaux et les dieux comme Bouddha, Jésus, Mahomet... constituent
une autre façon de relier morale et religion :...
Presque partout, les hommes conçoivent des agents surnaturels comme
s'intéressant à leurs décisions. Le législateur et le parangon sont
insuffisants comme représentation de la moralité. Les codes religieux
comme les dix commandements ne stipulent qu'un petit nombre d'interdits et
de prescriptions. C'est pourquoi, à chaque fois, toute une littérature
l'accompagne. Pourtant, en général, les croyants n'ont une très vague idée
des lois originales : combien de chrétiens peuvent citer les dix
commandements?
Les jugements moraux sont organisés selon un système de lois et
d'inférences à partir de principes généraux : "Ne fais pas mal à autrui
tant qu'il ne te fait pas mal". En matière de morale, les spécialistes ont
montré que, dès trois ans un enfant a l'intuition que frapper quelqu'un
est mal même si ça n'est pas expressément interdit : il existe un système
d'inférence spécifique précoce, un sens moral inné qui sous-tend les
intuitions éthiques : il existe une valeur morale intrinsèque des
comportements.
La morale est engendrée par la coopération. La coopération a plusieurs
causes : la parenté : la volonté de transmettre nos gènes a sélectionné en
nous des mécanismes qui nous font privilégier nos descendants, l'altruisme
réciproque fondé sur l'échange de bons procédés mais il y a aussi de
l'altruisme même en l'absence de sanctions. En général, on n'agresse pas
les vieilles dames même s'il n'y a aucun risque de sanction. Le faire met
"mal à l'aise" la plupart des gens.
Il faut non seulement avoir un comportement moralement correct vis à vis
des autres mais il faut aussi que ça se sache. Pour résoudre ce problème,
les hommes ont mis en place des dispositifs d'engagement : des
associations qui excluent un membre malhonnête. Ces associations ne
fonctionnent que si les tricheurs sont punis d'une manière
disproportionnée à leur faute.
En matière de morale quand on estime avoir raison, on essaie, par le
dialogue, de le démontrer à son interlocuteur en lui donnant des
informations. Mais personne n'a accès à toute l'information pertinente, il
s'ensuit des conflits. Personne, sauf un agent surnaturel qui a accès, lui
à toute l'information et il sera donc particulièrement bien placé pour
savoir si un comportement est juste ou non. Les agents surnaturels se
trouvent donc tout naturellement associés aux jugements moraux humains.
Les concepts de dieux et d'esprits gagnent donc en pertinence par
l'organisation de notre entendement moral qui en lui-même, n'a pas
particulièrement besoin de dieux ou d'esprit. Les concepts fournissent
alors de nombreuses inférences et sont faciles à représenter. Si je me
conduis de manière immorale, je soupçonne qu'un agent qui serait au
courant de ma conduite estimerait que je me suis mal conduit. Ce principe
permet de construire facilement un système moral efficace, plus efficace
que le concept de législateur ou d'exemple. Les codes et les pensées
religieuses ne pouvant pas être à l'origine des pensées morales, il
s'ensuit que celles-ci sont très semblables chez des gens ayant des
concepts religieux très différents ou n'en ayant pas du tout. En quelque
sorte, les concepts religieux parasitent les intuitions morales.
Malheur
et maladie :
Lorsque le malheur frappe : untel tombe malade. On sait que tout le monde,
un jour ou l'autre tombe malade, mais c'est un principe général. La
question que se pose celui qui est malade, c'est "pourquoi moi?". La
question n'a guère de sens mais elle est la conséquence directe de nos
systèmes d'inférences et du format de leurs réponses : "pourquoi ont-ils
fait cette fourchette en caoutchouc?". Les dieux et les esprits qui
interagissent avec les hommes et disposent de toute l'information
stratégique sont de bons candidats potentiels comme source de malheurs ou
comme protecteurs. Les concepts religieux réussissent d'autant mieux que
leur représentation repose sur des capacités mentales que nous activerions
avec ou sans religion. Ils parasitent l'ontologie intuitive. Cela explique
la facilité de certains concepts et le succès d'une statue qui saigne ou
d'un arbre qui parle. Dans le contexte de l'interaction sociale, le
concept d'un agent ayant libre accès à l'information est facile à
représenter et riche de conséquences. Ces concepts sont des parasites au
sens biologique du terme : ils s'accrochent sur un système existant dont
ils ont besoin pour vivre, se développer, se reproduire et prospérer.
La
mort :
On croit souvent que la peur de la mort a induit les religions et que le
soin que tous les peuples mettent à traiter leurs cadavres démontrent de
ce sentiment religieux. Pourtant, une analyse approfondie montre que c'est
le cadavre lui-même qui est l'objet de toutes les attentions. En fait,
l'anthropologie a démontré que les hommes se sont rapidement rendus compte
qu'un cadavre était polluant, qu'un simple contact pouvait transmettre des
maladies et que donc les cadavres nécessitait un traitement approprié pour
ne pas contaminer un vivant. Dans beaucoup de peuples, ceux qui s'occupent
des cadavres sont rejetés par les autres et vivent à part. Cette
expérience de la contamination a développé dans notre cerveau des
mécanismes spécifiques de conduites d'évitement.
D'autre part, devant un animal mort, nous supposons qu'il n'y a plus ni
but ni objet pourtant, dans le cas de personnes connues, le mécanisme du
cerveau des fichiers de personnes n'arrive pas à décrocher : la personne
vit toujours dans notre esprit. Cette incohérence créé une dissociation
entre nos systèmes d'inférence. Enfin la perte d'un enfant est une
catastrophe génétique surtout si c'est un adolescent et la mort de tout
membre du groupe est une perte énorme en termes d'information disponible
et de coopération potentielle.
Ce sont les causes des mécanismes du chagrin du cerveau qui sont des
émotions négatives qui nous aident à affiner nos comportements. Bref, la
mort conduit à des inférences extrêmement riches et créé inévitablement
des effets cognitifs remarquables. Tout ceci conduit les gens à craindre
les morts, dès lors, "l'âme" des morts constitue l'agent surnaturel le
plus largement répandu dans le monde : c'est le moyen le plus simple et le
plus efficace de transmission de concepts d'agents naturels.
Les
rituels :
Le rituel est une machine à réduire l'information transmise. Une bonne
partie de la culture humaine est constituée de gadgets cognitifs qui ont
le pouvoir de capturer l'attention. Dans un rituel, les dieux viennent
s'ajouter à une activité humaine qui n'en a pas réellement besoin. Les
dieux et les esprits sont beaucoup plus convaincants lorsqu'ils se
trouvent associés à des activités humaines remarquables. Les prescriptions
rituelles sont des règles de précautions : ce qu'il convient de faire pour
écarter le danger. Les rituels ne sont pas le résultat de la
représentation des pouvoirs divins mais l'une de ses causes. Les rituels
rappellent les actes automatiques et irrésistibles accomplis par les
personnes souffrant de troubles obsessionnels compulsifs qui provient du
dysfonctionnement spécifique de certaines fonctions organisatrices du
cerveau associées à l'activation anormale d'aires cérébrales précises qui
assurent la combinaison entre projets et émotions. Les systèmes qui
surveillent le danger potentiel derrière chacun de nos actes sont
suractivés chez ces gens-là. Ce sont les mêmes mécanismes qui se mettent
en place pour l'accomplissement des rituels qui abondent en éléments qui
active le système contagion. Tout artefact culturel évoquant ce genre de
situation (avec, par exemple, une prescription rituelle) est fortement
susceptible de retenir l'attention. Pour comprendre les rituels, il faut
revenir aux coalitions. Le rituel de passage des adolescents au monde
adulte est le meilleur moyen de savoir si les jeunes gens sont prêts à
payer le prix fort pour faire partie de la coalition. Les anniversaires,
les cérémonies du mariage... sont des rituels. Les rituels sont des moyens
commodes d'établir une distinction claire entre l'avant et l'après dans la
situation sociale du groupe.
Dans les petits villages africains isolés ou dans les grandes villes
occidentales, les gens ont tendance à former des réseaux de groupes
solidaires : des personnes à qui se fier en cas de besoin. La structure et
la taille de ces réseaux est étonnamment stable dans toutes les
civilisations. L'homme est très performant en théorie sociale : ses
systèmes mentaux sont conçus pour fournir une motivation puissante en
donnant des récompenses sous forme d'émotions. Les dispositifs rituels
produisent des inférences riches. Les rituels ne créent pas d'effets
sociaux : ils créent l'illusion qu'ils en créent. Ils donnent donc
l'impression d'en créer. Les rituels ont un parfum de réelle transcendance
: ils activent des forces mystérieuses que les gens sentent mais ne
peuvent décrire et encore moins expliquer. Le fait d'inclure des agents
surnaturels les rend plus pertinents. Le rituel laisse souvent une
impression de vide qui est facilement rempli avec un agent surnaturel dieu
ou esprit.
Pourquoi les gens se réunissent-ils dans des bâtiments spéciaux, où ils
écoutent le récit de tortures très anciennes et font semblant de manger la
chair d'un dieu ? Réponse officielle : "Afin de commémorer un événement
crucial, partager la bénédiction surnaturelle, célébrer un agent
surnaturel et renouveler un contrat particulier avec cet agent".
L'explication n'est pas pertinente. Le succès des rituels est à chercher
dans les processus psychologiques qui ne sont pas transparents aux
pratiquants : parce que les rituels sont des pièges à pensée qui
produisent leurs effets en activant des systèmes spécialisés de notre
cerveau. L'esprit humain est ainsi fait que ces cérémonies très spéciales
deviennent, avec le temps, parfaitement naturelles.
La
violence :
Dans un groupe de gens qui partagent une doctrine religieuse commune,
adorer les mêmes dieux crée une communauté. Ceux qui s'impliquent
profondément dans une religion, pour qui il est vital que leur doctrine
soit la seule source de vérité, n'hésiterons pas à massacrer ceux qui ne
reconnaissent pas cette évidence. Les crimes les plus atroces seront la
célébration de la Vraie Foi. Les dieux et les esprits créent la cohésion
du groupe dont découle la xénophobie qui entraîne elle-même le fanatisme
et la haine.
La psychologie sociale montre combien il est facile de créer de forts
sentiments d'appartenance et de solidarité entre des personnes
arbitrairement réparties en groupes. Il suffit de leur dire qu'elles font
partie des bleus ou des rouges. L'appartenance à l'autre groupe est
interprétée comme un danger potentiel. C'est la magie sociale : les gens
ont des aptitudes spécifiques pour la coalition mais ils ne savent pas
pourquoi. Encore une fois, la non-conscience pour l'humain de ses propres
mécanismes offre un terrain propice à la manipulation mentale et aux
religions. Dans toutes les traditions, on peut trouver des mouvements
entièrement centrés sur le retour à des valeurs religieuses considérées
comme perverties par l'évolution historique. Ces mouvements
fondamentalistes, en général, légitiment la violence. Le fondamentalisme
est un phénomène moderne, il est exacerbé dans nos sociétés ou la
communication est facile et importante et créé une concurrence culturelle.
Le message véhiculé par le monde moderne n'est pas seulement qu'il existe
d'autres façons de vivre, que des gens peuvent être croyants, ou croire
autrement, ou se libérer des contraintes de la morale religieuse. Le
message du monde moderne est qu'on peut faire tout cela sans payer le prix
fort ce qui implique que la défection ne coûte rien et qu'elle est donc
très probable. La violence fondamentaliste tente de faire monter le prix à
payer pour les déserteurs potentiels. Les groupes fondamentalistes
s'efforcent surtout de contrôler la conduite publique des autres, ils
essaient de punir ce qu'ils considèrent comme des manquements aux normes
religieuses par des châtiments publics et spectaculaires. Cette violence
est en grande partie dirigée non pas vers l'extérieur mais vers les
membres de la communauté. Le fondamentalisme est une volonté de préserver
un type particulier de hiérarchie menacée par la facilité de défection.
Les
multinationales
de la religion :
Certaines religions utilisent le service de spécialistes : prêtres, curés,
rabbins... d'autres pas. Pourquoi ces différences ?
Lorsque l'écriture est apparue, puis lorsque l'écriture a permis de
représenter la parole, les changements ont été stupéfiants. L'écriture a
d'abord servi l'administration puis le commerce puis, entre autre, la
religion. L'écriture a entraîné des associations stables de spécialistes
religieux qui sont devenus des corporations qui contrôlent le marché des
services qu'ils rendent. Au départ leur position est fragile du fait de la
concurrence facile. Cette concurrence a poussé très tôt les corporations
religieuses à gagner le maximum d'influence politique. Parfois, comme
l'Église catholique en Europe pendant plusieurs siècles, elles réussissent
à prendre le contrôle de l'ensemble du processus politique. La prise de
contrôle politique des corporations religieuses est devenue une
spécialité. Ceux qui n'acquièrent pas de pouvoir politique perdent
rapidement du terrain. Pour consolider sa position, une solution est de
créer une marque : un service normalisé et spécifique, facilement
reconnaissable et exclusivement fourni par l'organisation. Pour offrir des
services religieux identiques au sein de la marque, la corporation doit
pouvoir décrire ce qu'elle offre. Pour garder le maximum de contrôle, les
corporations de lettrés spécialisés dans les services religieux d'une
marque présentent leurs textes comme des sources de vérité garanties.
Elles tendent à minimiser l'importance de l'intuition, de la divination,
de l'inspiration personnelle, de la tradition orale et des êtres possédant
une qualité exceptionnelles parce que tout cela échappe à son contrôle.
Les corporations religieuses offrent donc une explication des dieux et des
esprits cohérente, déductif et stable.
Pourtant, les fidèles ont naturellement tendance à simplifier, adapter le
message des corporations pour l'adapter à leurs besoins. Les théologiens
luttent en permanence contre cette "dégradation" de leur message qui en
altère la stabilité et donc leur pouvoir.
Science
et religion :
Opposer la religion à la science et réciproquement est rarement
constructif. La religion, quand elle est correctement construite, est un
système logique "Godélien" fermé indémontrable et irréfutable et donc
inaccessible à la science. En Occident, la religion a commis l'erreur
fatale de se mêler des faits empiriques : elle nous a ainsi gratifié d'une
longue liste d'affirmations précises, officielles et indiscutables sur le
cosmos et la biologie que nous savons être fausses. L'Église a perdu
toutes ces batailles et de façon définitive. C'est très gênant. Certains
vivent dans un monde imaginaire où les sources bibliques restent une
référence géologique et paléobiologique mais ça demande énormément
d'efforts. La science montre non seulement que certaines fables sur la
formation des planètes sont inacceptables mais aussi que c'est une erreur
fondamentale de considérer la religion comme une façon de connaître les
choses.
Ce que nous enseignent l'évolution, la biologie, la psychologie,
l'archéologie et l'anthropologie, c'est qu'un ensemble de facteurs
constitue la "main" collective et invisible qui guide l'évolution
culturelle. Mais les explications en terme de "main invisible" sont
frustrantes, nous préférons l'hypothèse d'une "main cachée" qui implique
une conspiration : des maîtres de l'univers tirant les ficelles.
Les sceptiques voient souvent dans la croyance une forme de négligence
intellectuelle.
L'activité scientifique est contre nature au vu de nos capacités
cognitives. C'est pourquoi l'acquisition de connaissances scientifiques
est plus difficile que celle de représentations religieuses. Elle est
improbable sur le plan social, elle s'est donc développée dans un nombre
limité de pays, chez peu de gens, pendant une période très courte.
Conclusion
:
Dans le cerveau de l'homme, la sélection naturelle a favorisé des
mécanismes complexes et dissimulés qui ont permis la survie de l'espèce.
Les mêmes mécanismes se sont révélés propices au surnaturel. Des concepts
surnaturels sommaires de dieux et de religions sont donc apparus. La
sélection naturelle, encore elle, a trié et conservé les meilleurs
concepts : les plus riches, les plus faciles à retenir et ceux
susceptibles d'évoluer, souvent en relation avec les morts et les
cadavres. Puis l'écriture est apparue et a permis l'éclosion de lettrés
spécialistes qui ont lutté contre la concurrence en prenant le pouvoir
politique, en créant des marques facilement reconnaissables, stables et
codifiées : les "multinationales" de la religion sont apparues.
L'esprit humain n'est pas devenu vulnérable à n'importe quelle croyance
surnaturelle. Il est devenu vulnérable à un nombre très restreint de
concepts surnaturels : ceux qui peuvent activer en même temps les systèmes
d'inférences liés au vivant, à la prédation à la mort, à la morale, aux
échanges sociaux. C'est pour cela que la religion a des traits communs
dans le monde entier.
Sources :
Pascal Boyer "Et l'homme créa les dieux" , Laffont
Sigmund Freud "Totem et tabou"
Sigmund Freud "L'avenir d'une illusion"
Sigmund Freud "Moïse et le monothéisme"
Kant "Critique de la raison pure"
Kant "La religion dans les limites de la seule raison"
Kierkegaard "Le concept de l'angoisse"
Kierkegaard "Crainte et tremblement"
Steven Pinker " Comment fonctionne l'esprit"
Dan Sperber "La contagion des idées"